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Merci à Estelle Caumartin

Ancien « banlieusard » passé par Fresselines, Alexis Chartraire vit désormais à Pouligny-Saint-Pierre, au cœur de la Brenne. Après s’est découvert une fibre artistique sur le tard, le romancier-peintre se trouve aujourd’hui confronté aux réalités d’un marché difficile d’accès sans pour autant accepter de se compromettre.

Alexis Chartraire préfère déposer un voile de pudeur sur sa première vie et ne pas en confier les détails. Ancien informaticien, ce romancier-peintre âgé de 58 ans, « au parcours atypique, autodidacte en tout » n’a pas choisi entre les deux arts qui l’attiraient et mène une double carrière mêlant l’écriture et la peinture depuis 2008. Fier de publier prochainement un troisième roman, ses tableaux sont exposés en galerie à Paris et à Barbizon. Mais derrière cette façade de projets, un sujet tourmente l’artiste depuis quelque temps malgré l’amour qu’il porte à son activité : « Les artistes ont du mal à vendre et les romanciers doivent écumer les salons du livre pour exister », annonce-t-il.

Entre reflets et couleurs

« Je ne suis pas un artiste du sérail. J’ai un parcours d’autodidacte. J’étais informaticien, je viens d’un autre monde et j’ai découvert qu’on pouvait peindre. Mes parents étaient simples mais m’ont donné des livres, m’ont appris l’importance de la lecture, ont cherché à développer ma curiosité, m’ont poussé à me cultiver. […] C’est une chance de pouvoir se lancer dans la peinture. En 2012, j’ai voulu me professionnaliser pour avoir plus d’exigences. Mais il est très difficile d’en vivre », retrace Alexis.

Arrivé à Fresselines, en Creuse, après avoir fermé la porte sur la première partie de sa carrière, il découvre « par hasard » ce village au patrimoine artistique fort et aux paysages inspirants : « C’est le village qui nous a choisis. J’y ai peint les reflets de l’eau que j’avais découverts dans l’œuvre de Monet. C’est un sujet infini, les reflets évoluent. Il faut inventer, créer un langage. Ce n’est parfois même pas clair dans la tête et il m’arrive d’être surpris du résultat… », décrypte-t-il.

Un marché bouché

Le peintre se passionne ensuite pour Maurice Rollinat et fréquente le Cercle des beaux-arts au moulin du Rabois à Argenton-sur-Creuse pour peaufiner sa technique. Les premières expositions arrivent, les premières ventes aussi et plus récemment, les premières déconvenues. Alexis Chartraire chemine, s’interroge, explore les contradictions du marché sans parvenir à se fixer sur une solution ou un début de réponse : « Il y a beaucoup de concurrence avec les amateurs en peinture et en sculpture, et une concurrence déloyale dans les métiers artistiques à cause des charges qui ne sont pas les mêmes selon le statut. Il y a quelques années, c’était rentable mais aujourd’hui, les ventes sont rares, mêmes lors des vernissages. Il n’y a pas ce public de collectionneurs, les touristes investissent moins. Le marché n’est plus là, il s’est ratatiné. Le problème c’est que l’art d’aujourd’hui est comparé à des choses qui ont une très grande valeur, réalisées par des artistes morts depuis une centaine d’années. […] Il y a des galeries au niveau économique proche de 0, qui ne font pas une seule vente dans un mois. »

Les galeristes peinent peut-être à vendre mais Alexis pointe un paradoxe qui sanctionne l’artiste dès le début de sa carrière : « Il faut paraître, faire tel et tel salon. Les prix jouent aussi, ça ne change pas le peintre mais ça rassure les gens. […] On va être obligé de payer avant d’avoir vendu quoi que ce soit. C’est pareil en musique. On est dans un monde curieux, on met en avant la culture et en parallèle, 90 % des acteurs sont obligés de participer financièrement. C’est un travers étrange… […] Les expositions sont payantes, les droits d’inscription sont très élevés et les places parfois peu intéressantes quand on n’est pas renommé. Il ne faudrait pas se disperser, un agent artistique permettrait d’éviter ça mais ils ne s’implantent pas ici. »

Pour autant, Alexis Chartraire ne souhaite pas remettre en question son style, situé entre le réalisme et l’art abstrait : « Après la mode de l’art abstrait, le figuratif revient, mais je peins indépendamment de ce qui va plaire ou se vendre même si j’écoute ce que disent les gens dans les expos. »

Le pinceau puis la plume

En 2018, Alexis Chartraire publie Cavalcade, un ouvrage portant sur la vie du peintre Théodore Géricault. « J’ai mis plus de quatre ans à sortir Cavalcade entre le cheminement, l’écriture, l’édition. Il y avait de l’intérêt, j’ai eu beaucoup d’échanges par mail avec des lecteurs à ce sujet. Je n’ai pas eu besoin de romancer la vie de Géricault. […] On apprend, la méthodologie change. Pour les tableaux, je prends des photos avant de peindre. Pour les livres, j’écris un scénario avant de les rédiger. […] C’est un monde merveilleux la création, un vrai plaisir. C’est extraordinaire de créer de ses mains… Cavalcade m’a ouvert une boîte de Pandore. Le deuxième livre a été plus difficile à écrire. J’ai été obligé de me réinventer. Je suis autodidacte mais je ne pense pas qu’il pourrait y avoir une formation à l’école pour écrire un livre. En revanche, il faut une bonne base », confie-t-il.

Le monde littéraire, qui croule sous le nombre des publications, n’est pas épargné par les difficultés rencontrées par les artistes peintres. Alexis Chartraire est là encore, revenu de ses illusions. Il admet : « Dans les livres aussi c’est difficile de se faire une place. L’auteur a besoin de notoriété. Il faut des années avant de percer un peu, ça apprend l’humilité et la patience. […] Le problème du roman, c’est qu’il faut trouver un financement puis mettre en valeur le livre, notamment dans les librairies. Mais il y a un renouvellement excessif et celles-ci sont saturées car trop petites. […] Il y a beaucoup de créativité et c’est génial, mais les auteurs ne trouvent pas leur public. »

Iconographie chrétienne

Il y a peu, le romancier-peintre semblait avoir besoin de prendre de la hauteur et de s’éloigner de ces considérations économiques. Après avoir suivi une formation en iconographie auprès d’un prêtre orthodoxe durant deux ans, Alexis Chartraire poursuit aujourd’hui son apprentissage avec un maître iconographe. Là aussi, la pudeur est de mise et la porte semble infranchissable. « En iconographie, on ne peut pas faire une œuvre parfaite, la seule œuvre parfaite c’est celle de Dieu. On apprend la place du peintre, l’humilité… Il n’y a pas de place pour signer », conclut-il.

La discipline permettra peut-être au peintre d’accéder à un certain apaisement et finalement d’accepter qu’épouser une carrière artistique, c’est aussi risquer d’embrasser le dénuement le plus complet. ■